L’histoire de corps de Joakim Robillard
PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-EVE DUSABLON
« Je suis comédien et entrepreneur à mes heures, je fabrique notamment des bougies en cire
d’abeille.
Je suis une personne malentendante de mes deux oreilles. Mon oreille droite est assez performante, mais j’entends environ 25% de mon oreille gauche.
C’est une série de mésaventures qui explique ma condition. À l’âge de neuf ans, j’ai fait un AVC (accident vasculaire cérébrale) qui m’a laissé avec plusieurs séquelles, dont la plupart j’ai
pu surmonter, mais mon audition n’est jamais revenue intacte.
Dix ans plus tard, j’aurais ensuite développé un virus s’apparentant à une labyrinthite. Je me suis retrouvé à l’urgence et j’ai soudainement perdu une grande partie de mon audition de
l’oreille gauche. Le son a complètement été altéré, comme s’il provenait d’un tube. Quand j’étais à l’hôpital, le médecin ORL (oto-rhino-laryngologiste) m’a en fait expliqué que le virus
aurait attaqué mon nerf auditif, mais tout ça, sans connaître vraiment les causes de cette maladie et ne sachant pas si ça pourrait survenir à nouveau.
Le choc n’était pas si pire à ce moment-là, parce que j’étais déjà malentendant depuis 10 ans lors de mon AVC. J’avais porté toute mon adolescence des appareils auditifs, je vivais déjà depuis quelques années avec cette situation, par contre, au même moment j’ai décidé de m’inscrire à l’école de théâtre, un milieu hyper contingenté et compétitif.
Les choses étaient devenues plus compliquées, car je gardais en moi un vieux souvenir d’une foire scolaire en 2009, où je m’étais fait dire que les écoles de théâtre n’acceptaient pas les personnes vivant avec un handicap. C’était une énorme bêtise de leur part. Ça m’avait profondément marqué et je suis donc entré dans le programme d’interprétation théâtrale du Collège Lionel Groulx avec la peur de le dire. J’avais peur de l’assumer et d’être renvoyé chez moi après la première année, où des coupures sont effectuées. Je voulais mettre toutes les chances de mon côté… Puis, un jour, une professeure s’en est rendu compte. J’ai été obligé de le dire et j’ai reçu un bel accompagnement de sa part en m’invitant à le dire sans avoir
honte.
Elle m’a fait comprendre que même si tu as un handicap, ça ne fait pas de toi un mauvais comédien. On a besoin de cette différence, de cette diversité dans le milieu, tant au niveau des origines que des antécédents médicaux.
Aujourd’hui à 30 ans, quand j’arrive sur un plateau de tournage, ce n’est pas la première chose que j’aborde, je vais en parler quand je surmonte des difficultés et que je suis acculé au pied du
mur. Par exemple, il m’arrive de ne pas entendre les directives de jeu, je demande donc au réalisateur de s’exprimer plus fort.
Il n’y a pas aussi beaucoup d’exemples dans le milieu…Est-ce je connais des acteurs ou actrices appareillés? Non. Est-ce que ça aurait pu m’aider? Peut-être. Par contre, toute ma vie
je n’ai pas eu l’impression d’être stigmatisé, j’ai plutôt senti de la compassion et de l’intérêt de la part des gens.
Pour le futur, je ne m’en fais pas trop. Je suis quand même conscient qu’un jour ça va me rattraper, mais en ce moment, je me sens choyé de me débrouiller sans appareil et de vivre
avec ma surdité, et ce, même si je rencontre des défis au niveau professionnel et personnel.
Ce n’est pas vrai que nous ne sommes pas aptes à faire ce qu’on veut avec une incapacité physique. On peut le faire. Les trucs ignobles que je me suis fait dire; de ne pas me lancer dans
le milieu du théâtre, ça s’est avéré être complètement faux.
Le meilleur moyen de vivre avec sa surdité: c’est de le communiquer. On a peur de l’opinion des autres, mais souvent cette opinion est beaucoup plus positive que l’on
pourrait le penser. Soyons fiers d’être différent. »
JOAKIM ROBILLARD
30 ANS
@johny_flamme