Oui, moi aussi j’ai peur du temps des fêtes

Oui, moi aussi j’ai peur du temps des fêtes

Déc 27, 2019

PAR JORDAN DUPUIS

J’ai souffert d’hyperphagie durant plus de 25 ans, pesé plus que le double de mon poids actuel, détesté ce corps, mangé à outrance, me faisant vomir quand le corps n’en pouvait plus et surtout, me sentir prisonnier de la maladie beaucoup trop longtemps.

Aujourd’hui rétabli après des années de thérapie, en «recovery» comme je me définis, je me sens libre, heureux, serein et en contrôle de la maladie. Je tiens mon trouble alimentaire fermement en laisse. Pas une laisse extensible comme au parc à chien, mais une bonne vieille laisse en cuir qui ne cédera devant rien, devant aucune tentative de fuite.

TOUTEFOIS

Chaque année, durant le temps des fêtes, un temps de réjouissance, d’abondance, d’opulence et de luxure, la laisse se tire, bien tendue. Tendue au point que parfois, j’ai ce sentiment qu’elle cédera et permettra à ce chien fou de reprendre le contrôle, le dessus sur son maître, le dessus sur ma vie.

Le temps des fêtes, c’est le temps du sucre à la crème de maman, du café Baileys à 10h, des brownies maison de la fille du bureau, des bénédictines-mimosa chaque week-end, des fondues au fromage, de la tourtière du lac, de la bûche à la crème glacée, des bols de party mix et de chips au ketchup sur chaque table du salon. C’est le temps où on se «lâche lousse» collectivement, se récompensant socialement certes, mais aussi de façon gourmande pour cette année de dur labeur, année qui nous à mis les cernes jusqu’en dessous du bras, mais qui disparaissent quand on déballe une boîte de Ferrero Rocher du bas de Noël.

Ce temps des fêtes, je l’aime de tout mon cœur certes, mais je le crains aussi, comme la peste dans un village du 18e siècle. Je dois me parler constamment, rationaliser mes pensées, me poser des questions, ne pas céder et regarder mon assiette au buffet du party de bureau plusieurs fois pour savoir si ce n’est pas l’hyperphagie que je vois ou une réelle faim.

J’écris ce texte, car ce que je ressens, cette pression et cette peur de céder à l’excès qui va nous faire sentir «comme de la marde» en cette période où supposément, on doit se prendre en main le 1er janvier (bullshit) je ne suis pas seul à la vivre. Au-delà du trouble alimentaire qui vient rôder au-dessus de ma tête comme un aigle dans un Far West cheap, vous êtes des milliers de femmes et d’hommes, mes chums de filles, collègues, membres de la famille et connaissances sur Facebook à se sentir le pied sur le bord du précipice, nous empêchant de savourer chaque instant de ce temps des fêtes bien mérité. 

Pourquoi on n’essaierait pas plutôt de développer de l’empathie envers soi-même durant cette période? De se dire: «C’est normal Jordan que la laisse soit tirée au max, c’est le concept même du temps des fêtes viarge!». Pourquoi on n’essaierait pas de respirer par le nez et de se dire «T’es capable» plutôt que «T’es en train de sombrer»? 

Pourquoi l’empathie? Car c’est elle qui m’a permis de guérir de mon hyperphagie, de relativiser mes pensées, de me pardonner, de sourire plutôt que de pleurer, de remercier ce corps que j’ai tant maltraité, mais aussi, de remercier la vie pour le sucre à la crème de maman (il est vraiment excellent).

L’empathie m’a permis de donner du lousse à mon chien fou sans toutefois le perdre de vue. Il est quand même dans un parc à chien, non? 

L’empathie m’a aussi permis de prendre du recul et de réaliser qu’au final, après chaque temps des fêtes, la laisse n’a jamais cédé, le chien fou comprenant que la récréation est terminée et revenant s’asseoir à mes pieds docilement. Pas content, mais docilement pareil.  

Naturellement, j’ai réalisé que quand je me dis que moi aussi j’ai le droit de célébrer comme la planète entière, que cette nourriture est un cadeau du siècle quand on sait que le 3/4 de la planète n’a pas d’eau potable et que c’est aussi une façon naturelle et culturelle de se dire merci, j’ai le cœur léger. Quand il n’y a pas d’interdit, il n’y a pas d’aigle qui rôde, car il n’y a rien à venir picosser. 

Et naturellement en janvier, la vie est bien faite, ma tête et mon corps veulent prendre un break de toutes ces célébrations et se réenlignent naturellement, organiquement, en beauté, dans le respect de soi et sans aucune pression. Comme les planètes et les astres qui font leur job sans que personne ne leur demande. C’est weird, hein? Mais c’est comme ça, le corps est bien fait.

Faites-vous confiance, dites-vous merci, merci aux autres et savourez chaque seconde de votre temps des fêtes, car il est aussi pour vous, sans culpabilité et sans regret. La vie est belle et bonne. Vous verrez.

Sur ce, je vous laisse, j’ai la première batch de brownies de Noël à mettre au four 😉

Jordan

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